Ils venaient de très loin.
Pour accomplir leur mission, ils avaient adopté, autant qu’ils le pouvaient, le corps des humains qui vivaient il y a longtemps sur cette planète, il y a près de trois mille ans en arrière de ce temps terrestre. Les choses avaient empiré, la destruction de l’environnement et des âmes était si avancée que le processus d’évolution s’en était trouvé gelé. Tout avait donc été suspendu. Seul le maintien d’une vie organique ralentie avait permis uniquement la croissance végétale.
Parmi les plus grands sages des Êtres d’Énergie Évoluée, les E.E.E., il en était un dont la foi en l’humain était inaltérable. Il obtint lors d’une réunion de conseil des sages que l’on reconsidérât cette suspension de processus sur cette planète. Il proposa de relancer l’évolution si l’on parvenait à trouver des traces d’un soupçon de sens. Il affirmait, en outre, que le dernier enseignement donné avait été reçu et que la synthèse de toutes les sagesses ici incarnées avait même été réalisée. Il avait seulement manqué un peu de temps, affirmait-il, pour avoir un nombre significatif d’humains éveillés et que le saut puisse s’accomplir. Il assurait que dans une nouvelle tentative, l’humanité pourrait enfin emprunter une autre direction et contribuer à sa juste part à l’évolution de l’univers tout entier.
Deux Êtres dont les caractéristiques particulières étaient leur fonction régénératrice, furent donc mandatés pour évaluer si la probabilité qu’il y ait eu une expérience significative transcendantale existait et s’il en restait trace.
Suivant leur indicateur de potentiel énergétique, ils arrivèrent d’emblée en un lieu très naturel que la végétation, en croissance non interrompue, avait totalement envahi. Un site immense se présentait à eux, comprenant un énorme piton rocheux. Leur vision globale instantanée leur permit de repérer la structure complète qui formait une pyramide à 4 faces, chacune s’étalant sur 3 niveaux, qui se rejoignaient au centre sur une construction en ruines.
Leurs sens leur permettaient de recevoir instantanément et de décrypter toutes les informations contenues dans la moindre cellule avec laquelle ils entraient en contact. Aussi surent-ils immédiatement que l’endroit, il y a longtemps, avait été ouvert au public et ne prétendait nullement transmettre un enseignement mais en revanche faire vivre une expérience.
Ils décidèrent donc d’emprunter le chemin des visiteurs d’antan afin d’évaluer la profondeur de ladite expérience, se prédisposant eux-mêmes, empreints de curiosité anthropologique, à se divertir et à se laisser surprendre.
Ils passèrent une entrée formelle sur laquelle ils ne s’attardèrent pas car l’un et l’autre avaient déjà perçu une fréquence bien plus particulière qui émanait de l’une des bases de la pyramide.
Du bout d’un de ses doigts effilés, l’un des Êtres fit disparaître les monceaux de ronces et de végétation sauvage qui recouvraient tout. Ils devinèrent alors qu’un canal parcourait tout le pourtour de ce qui semblait être un bois ou un parc.
Ayant atteint l’une des entrées, du bout du doigt, ils firent ressurgir un petit pont, qui par un grand mystère était encore là et dont le jeu et les proportions habiles entre bois et pierre attirèrent leur attention. « Un pont réalisé avec notre Yggdrasil ? Serait-ce intentionnel ? », s’étonnèrent-ils ensemble sans pour autant prononcer le moindre mot.
Ils passèrent le pont et juste après, devinèrent un portail gisant au sol qu’ils redressèrent d’un simple effleurement. Dans la plus pure tradition zen, le portail aux proportions auriques, se dressa devant eux, arborant discrètement en son centre un mandala fondateur, fait d’or et d’argent. Ils franchirent ce portail et sentirent immédiatement qu’il accomplissait parfaitement sa fonction de séparation des espaces. Laissant ainsi derrière eux le monde profane d’énergie lourde, ils pénétrèrent dans un jardin que, conjointement, dans une gestuelle sacrée semblable à une danse, ils nettoyèrent de l’envahissement végétal du temps. Alors, ils purent jouir de la beauté et du calme du lieu.
De petits étangs aux formes douces invitaient à la promenade sous les ficus encore endormis. Une roseraie exhibait des efflorescences aux couleurs pastel et au doux parfum à peine perceptible. Les tons rosés et les jaunes pâles alternaient et adoucissaient les textures de petits monticules de pierres. Ceux-ci forçaient le regard car de grosses pierres se tenaient là en équilibre sur de plus petites, composant ainsi d’improbables sculptures qui défiaient la pesanteur propre à cette planète. Le bruissement de l’eau ruisselante était aussi à peine audible ; c’était comme un murmure qui cependant guidait les visiteurs vers des bosquets fleuris. Ils remarquèrent les jeux de brises qui s’échappaient des massifs d’asters, étalant leurs variétés mauves, roses et bleues, véritables ravissement pour les yeux.
Dans un renfoncement de verdure qui invitait à s’arrêter et se poser, ils découvrirent une figure, une sculpture blanche d’argile crue qui, protégée dans cette alcôve, était restée intacte. Elle représentait un sage blanc, aux petits yeux plissés et au fin visage, qui leur confirma avoir été le gardien de ce jardin.
Suivant son invitation, ils pénétrèrent dans ce qui semblait être un corridor, un couloir. L’air devint vif et froid. Les parois, faites de feuillages entremêlés, se resserraient lentement au fur et à mesure qu’ils avançaient. Ils comprirent qu’ils ne pouvaient pas faire demi-tour, que leur progression était assujettie à cet enchaînement de cloisons qui se resserraient sur eux et qui étaient devenues impénétrables. Ils avançaient lentement, un étouffement les gagna peu à peu. Ils se consultèrent sans un mot : « Les humains avaient-ils donc conscience de leur enchaînement et avaient-ils cherché à s’en libérer ? Savaient-ils aussi que si l’un se libérait, tous pouvaient alors viser la liberté ? ». Il ne faisait pas de doute qu’ils devaient continuer cette visite et s’assurer des compréhensions traduites ici. C’est à ce moment-là qu’un des deux Êtres vit dans la profondeur des broussailles des parois resserrées sur eux un petit objet qui reflétait un éclat : un dorge !
Alors qu’il l’attrapait délicatement entre ses longs doigts, l’espace s’ouvrit soudain. Sans qu’ils aient pu remarquer la montée, ils étaient parvenus sur la 3e terrasse. Tout ici semblait immobile. Un seul ficus géant, millénaire, occupait l’espace et un grand lotus blanc trônait au centre d’une petite étendue d’eaux calmes. Une statue de Bouddha, un peu plus grande que les proportions humaines, extrêmement simple et fine, invitait à s’asseoir en son anfractuosité et à s’immerger en soi. Les deux êtres se sentaient plus près de leur monde ici. Ils s’y arrêtèrent un instant de leur temps, se revitalisant dans un non faire et un non mouvement ressourçants. Ils sentaient que, de là, ils pouvaient repartir en leur monde… Mais se souvenant de leur mission, ils continuèrent leur progression. Ils s’intéressèrent à la ruine qui occupait le sommet du site. L’un d’eux, d’un doigt, la remit en état.
Une grande coupole blanche dressa alors son conoïde vers le ciel. Ils entrèrent. L’intérieur était semi-sphérique et parfaitement vide. Instantanément, les deux Êtres suspendirent tout mouvement mental et tout vouloir… Là, encore, ils durent faire un effort suprême pour ne pas se laisser aller à repartir. D’autant que, des traces de sagesse, il y en avait ! Il était d’autant plus important de poursuivre cette investigation.
Ils redescendirent par un escalier de bois et de pierre comme le petit pont d’entrée, qui les conduisit tout droit aux bords du canal.
***
Suivant le tracé du cours d’eau, ils atteignirent un nouveau pont, identique au premier, qui les mena à un autre jardin. Des morceaux épars de marbre orangé jonchaient le sol. Un des deux êtres toucha l’un des blocs de pierre dure et une grande fontaine se dressa devant eux. Un Yoni-lingam, dans la plus pure tradition tantrique du sud de l’Inde, se dressait maintenant devant eux, concentrant en un instant une énergie considérable, faisant résonner la leur. Son marbre doré attrapait la lumière et la luminosité que cette fontaine faisait rayonner leur était très familière.
Ils s’engagèrent dans un jardin généreux, aux couleurs éclatantes. Des bougainvillées de toutes parts laissaient flamboyer des violets éblouissants, les chèvrefeuilles aux jaunes étincelants les enivraient de leur parfum puissant, partout des buissons de lavande exhalaient eux aussi des fragrances capiteuses.
La roseraie était immense et foisonnait de roses de toutes couleurs. Mais la disposition choisie mettait en avant la splendeur des roses oranges et jaunes de très hauts rosiers grimpants. Cette explosion de stimuli fit surgir d’eux une joie trépidante qu’ils exprimèrent en dansant sous les ramures de gigantesques saules pleureurs. Les fontaines étaient nombreuses, larges aux eaux généreuses, ou petites et cachées dans des bosquets aux parfums indéfinis. Le chant du jet des fontaines se mêlait à celui des cascades et l’on s’attendait à voir se matérialiser une Ondine à la voix ensorcelante.
Alors qu’ils atteignaient la seconde terrasse, dans une niche verdoyante aux bords d’une cascade, ils découvrirent une sculpture figurant une frêle jeune femme chevauchant un centaure. Ils étaient abrités des regards directs par de grands pans de vigne sauvage. Unis comme un seul être, ils confirmèrent avoir été les gardiens de ce jardin et les invitèrent à s’introduire dans la grotte qu’ils leur désignaient.
L’air devint humide et la moiteur environnante très vite désagréable. Les sonorités joyeuses des cascades et des fontaines diminuèrent puis disparurent. La lumière, tout d’abord tamisée, s’estompait au fur et à mesure qu’ils s’enfonçaient dans la grotte.
Un trouble terrible les gagna soudain. Il y avait si longtemps qu’ils n’avaient expérimenté la fatigue. Ce corps leur pesait terriblement mais tout l’environnement était lourd également. Intuitivement, ils s’étaient rapprochés l’un de l’autre et leurs mains s’étaient enlacées comme pour vaincre le découragement qui les gagnait. Ils eurent alors l’idée d’extraire un peu d’énergie de ces corps qu’ils avaient justement dû enfiler pour visiter cette planète. Cela suffit en effet pour faire quelques pas de plus. Au sol, l’un d’eux remarqua un reflet orangé. Se penchant sur lui, il reconnut en miniature la fontaine qui les avait accueillis à l’entrée de ce jardin. À peine l’eût-il saisie, qu’une énergie intense les traversa et un accès s’ouvrit sur la 3e terrasse.
D’une immense fontaine à deux niveaux jaillissaient des eaux multicolores. Ils surent tout de suite qu’ils devaient pénétrer à l’intérieur d’elle et expérimenter la puissance de l’eau faisant irruption au-dessus de leur tête. Un déluge d’énergie les submergea, une puissance qui leur rappelait qui ils étaient vraiment. Ils disparurent un instant dans cette énergie pure…
Revenant à leur mission, ils constatèrent qu’ils se trouvaient devant la seconde entrée de la salle vide et sphérique dont ils avaient déjà expérimenté les excellentes conditions qu’elle offrait pour la méditation.
Ils entrèrent, se posèrent à nouveau et ensemble, ils firent savoir à leur monde qu’une entrée avait bien été gravée et expérimentée ici il y avait trois mille ans de ce temps terrestre, et que cette place sacrée avait fait converger deux très anciennes sagesses. On leur demanda de poursuivre l’investigation du lieu afin de déterminer jusqu’à quel point la Connaissance avait été reçue et transmise.
Ils redescendirent donc par un escalier similaire au premier qu’ils avaient emprunté et qui les conduisit sans surprise au canal entourant le site.
***
Sans aucune hâte, sûrs maintenant de trouver ici des racines à ce qu’ils étaient eux-mêmes, ils suivirent le canal jusqu’au 3e petit pont de pierres et de bois de frêne. Au sol gisait un immense monolithe d’acier inoxydable. D’un toucher du doigt, ils le redressèrent. Cet axis-mundi accomplissant immédiatement sa fonction, ils se sentirent reliés à leur univers. Les humains avaient donc su que tout ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, que le céleste ne s’oppose pas au terrestre, que l’immortel ne s’oppose pas au mortel, qu’ils sont une seule et même chose ?
Tandis qu’ils entraient dans ce nouveau jardin, ils entendirent, comme au loin, de douces mélodies. Ils s’engagèrent plus avant dans un très grand jardin blanc : tous les massifs arboraient des fleurs blanches de toutes tailles, aux larges pétales ouverts ou aux petites boules mystérieuses. Les cloches des campanules, les clochettes des muguets, les larges fleurs des anthurium, les grappes élancées vers le ciel des véronica, plus de cinq cents variétés de fleurs composaient ce grand manteau de blancs éclatants.
La plupart des bosquets avaient été sculptés en forme de sphères de toutes tailles qui rythmaient l’apparition d’autres formes, comme les spirales, les pyramides, les formes étoilées. Des mélodies indéfinissables entraînèrent les visiteurs vers une roseraie qui éblouissait de ses roses blanches par centaines. Des spécimens de toutes hauteurs formaient un écrin à une rose de taille exceptionnelle, dont les pétales semblaient de velours et qui trônait, royale, au centre d’un bassin. Les sons lointains et proches à la fois de musiques inconnues dont on ne parvenait pas à saisir la provenance entraînèrent les deux êtres vers un grand cône, dans lequel ils s’introduisirent. Il se mit à tourner lentement sur lui-même, les faisant se rapprocher l’un de l’autre. Lorsqu’ils se furent rejoints, le cône tourna plus vite, se souleva de terre, sembla se déplacer, puis se déposa au sol. Étonnés de cette sensation inattendue, ils se rendirent compte que la base de la forme conique s’était transformée en se posant : ils se trouvaient maintenant dans une pyramide. Ils échangèrent brièvement une pensée : Ainsi les humains avaient aussi compris et manié l’action de forme ? Ils savaient que s’ils ne bougeaient plus, le haut de la structure allait s’élargir et qu’elle formerait un cube. Pythagore n’avait pas été envoyé en vain sur cette planète.
Ils sortirent de la petite construction cubique, transportés par le chant d’un violon qui les mena à une grande sculpture, qui de loin formait un S. Arrivés au pied du monument, ils virent le violoniste, si uni à son instrument qu’on pouvait à peine l’en distinguer. Il leur confirma bien sûr avoir été le gardien de ce jardin et les invita à entrer dans une espèce de large caverne.
Le sol sembla soudain se mouvoir sous leurs pieds. Sa texture était indescriptible et produisait une sensation d’instabilité totale. Tandis qu’ils s’amusaient à rechercher un équilibre relatif, deux lumières s’allumèrent sur les côtés, leur faisant renforcer immédiatement la perception des limites de l’espace dans lequel ils se trouvaient et les tiraillant latéralement de manière désagréable. Ils firent quelques pas plus avant dans la caverne, prétendant s’enfoncer plus à l’intérieur. Les lumières s’éteignirent d’elles-mêmes et un spot puissant s’alluma très haut au-dessus de leur tête, en même temps qu’un autre les éblouissait depuis très en dessous de leurs pieds. Ils ressentirent à nouveau un fort déséquilibre et eurent à peine le temps de le pondérer que les spots s’étaient éteints eux aussi. Un halo de lumière très loin devant fit soudain écho à une lumière derrière eux qu’ils ressentaient en même temps intérieurement. Puis tout s’éteignit. L’obscurité totale les envahit, faisant place au vide. Ni lumière, ni son, ni odeur, un vide immense qui leur était familier. Ils firent silence absolu…
Au bout d’un temps indéfinissable, un reflet au sol attira leur attention ; l’un d’eux s’empara de l’objet : c’était une pierre au cœur de lumière, un très beau spécimen de labradorite ronde qui leur ouvrit instantanément l’espace vers la 3e terrasse. Pour l’atteindre cependant, ils durent monter au-dessus de la caverne qu’ils venaient de traverser, redescendre en suivant un petit escalier étroit qui les fit s’enfoncer à nouveau au cœur de la roche et remonter enfin, tandis que les parois allaient s’élargissant, vers une vaste terrasse qui leur permettait de saisir du regard toute la construction pyramidale de ces jardins. Se déplaçant de quelques pas, leur regard engloba tout le paysage au loin, si loin qu’on ne pouvait voir l’horizon. Malgré l’enveloppe de chair humaine qui les limitait, ils sentirent leur énergie se déplacer à l’arrière de leur tête. Ils se regardèrent intensément et disparurent un instant.
Revenant à leur mission, ils pénétrèrent la salle semi-sphérique et déposèrent cérémonieusement en son centre la pierre de lumière, qui rejoignit le dorge et la petite fontaine Yoni-Lingam. Et sans plus de surprise, ni de commentaire, mais avec un profond sentiment de remerciement, ils empruntèrent le 3e escalier pour redescendre jusqu’au canal.
***
Ils découvrirent là les restes de frêles esquifs qu’ils n’avaient pas remarqués jusqu’alors. D’un rapide touché du doigt, ils les reconstituèrent. De petites embarcations de grande élégance aux couleurs chatoyantes se balançaient doucement, attendant le visiteur. Sur l’une d’elle se tenait une femme sans âge, le regard perdu dans un temps indéfini. Un des êtres, incliné devant elle comme en signe de respect, l’effleura très doucement. Elle se redressa, son visage reprit vie, elle gonfla le torse, s’exclama sans mot : « Je vous attendais ! ». Menant le frêle esquif en le guidant par la pensée, elle les fit glisser jusqu’au 4e pont de pierre et de bois. Saluant Yggdrasil avec beaucoup d’amour et de respect, elle entra avec eux d’un pas résolu jusqu’à un grand pan de métal qui gisait au sol. Un geste de la main de l’un des deux Êtres suffit à le remettre sur pieds. Il s’agissait d’une fontaine de bronze, qui se dressait soudain rutilante, arborant fièrement deux grandes salamandres, tête bêche. Deux grandes vasques de chaque côté de la fontaine laissèrent échapper un fort crépitement et un grand feu aux flammes dansantes surgit alors de chacune d’elles. « Le jardin des alchimistes ! », pensèrent en chœur les E.E.E. Ils se tournèrent vers leur hôtesse, emplis de respect : « vous êtes la Sibylle du lieu ? Comment avez-vous survécu si longtemps ? ».
La Sibylle, la main sur le cœur, s’inclina vers eux : « J’ai toujours su que vous viendriez, il le fallait. Ainsi l’avait annoncé la prophétie. Faites ce que vous avez à faire ! » Elle les salua et disparut.
Ils comprirent la foi de leur sage des sages, admirèrent la foi de cette femme sans temps et l’enthousiasme les gagna. Ils pénétrèrent dans le dernier jardin aux rouges éclatants. Leurs pas les portèrent immédiatement vers la roseraie qui déployait en trois larges bandes de grandes roses rouges, blanches et noires. Les roses étaient somptueuses, emplies de mystère et forgeaient comme une base d’émerveillement au creux de l’âme. Ils traversèrent cette roseraie lentement, très lentement, laissant grandir en eux un éblouissement qui allait s’épanouissant. Au centre de la roseraie, résidait, souveraine, une fontaine aux formes simples et stylisées d’où coulait du mercure.
Ils se retrouvèrent ensuite sous une multitude de grenadiers, croulant sous la quantité et la taille de leurs opulents fruits ronds et rouges, gorgés de suc et de vie. Les petits rubis que formaient les grains de grenade tapissaient entièrement le sol. Ils virent alors que des petites coupelles aux formes variées abritaient de toutes parts des flammes vivaces : le feu guidait leurs pas au milieu des massifs de fleurs aux couleurs éclatantes. Les belles de nuit rouges et jaunes exhalaient leurs parfums capiteux, les anthuriums rappelaient le jardin blanc mais la couleur grenat de leur fleur rivalisait d’éclat avec les roches disséminées ici et là dans le jardin : des rubis, des jaspes, des cinabres…
De flammes en flammes, ils parvinrent ainsi à un grand parterre de fleurs grasses qui arborait en son centre un immense aloe vera exhibant sa fascinante fleur rouge. Une statue se tenait là aussi. Une silhouette au chapeau polymorphe était penchée sur des cartes figées représentant un tarot stylisé. Dans les cartes, ils lurent qu’il s’agissait bien du magicien gardien du jardin qui les invitait comme ses homologues à pénétrer sur la 2e terrasse.
Ils entrèrent au cœur d’un treillis de feuillages denses et serrés et surent qu’ils devraient résoudre cette énigme ancestrale du labyrinthe. Ils s’engouffrèrent donc dans ces allées étroites et ne furent pas surpris de se trouver rapidement à des intersections où rien n’indiquait le chemin à suivre. Au début, c’était plutôt plaisant, ils se séparèrent même pour profiter mieux encore de ce divertissement, de ce jeu de cache-cache. Ils se retrouvèrent pourtant au bout d’un temps conséquent à la même intersection du début et constatèrent que ce labyrinthe présentait une réelle difficulté : rien ne permettait de distinguer une allée d’une autre, les feuilles même étaient toutes identiques, tout ici perdait identité. Ils comprirent qu’ils devaient s’en remettre à leur intériorité, révisèrent leur jugement sur ce qu’ils étaient en train d’étudier, reconnurent avoir eu l’orgueil de sous-estimer cette fondation, et retrouvèrent leur humilité.
Poursuivant alors lentement leur progression, au détour d’une allée, ils la virent, brillante de mille feux, cette branche dorée qu’ils pensaient n’exister que dans leur monde. « Le rameau d’or ! », se dirent-ils émus. L’un d’eux alors, faisant une Demande sincère de pouvoir poursuivre le chemin et achever la quête, tendit la main vers la branche précieuse, souhaitant de toute son âme que, docile, elle s’offre à sa main non mortelle. Le rameau se détacha et un autre aussitôt ne manqua pas de renaître sans qu’aucun des deux Êtres n’y soit pour quelque chose.
La 3e terrasse s’ouvrit alors devant eux. Des feux puissants formaient un cercle. En son centre, un feu plus grand encore rugissait sous une immense sphère de cristal. Ils savaient qu’ils allaient devoir la pénétrer. Ils s’installèrent au cœur de la boule de verre, enlaçant leurs mains, leurs jambes, leurs corps. Le feu augmenta dans un bruit assourdissant. Ils furent instantanément enveloppés de flammes immenses. Puis l’intensité augmenta encore, ils ne purent plus rien distinguer. Une lumière d’un blanc aveuglant emplit tout l’espace. Vivants, ils étaient vivants, ils étaient un, ils étaient tout… Ils pouvaient rentrer…
***
Dans un sursaut impulsé par le grand Sage, ils furent ramenés directement au cœur de la salle sphérique. Un conseil d’E.E.E se trouvait là réuni. Un des deux Êtres en mission, le rameau d’or toujours à la main, présenta solennellement la branche sacrée à celui d’entre eux qui avait, il y a longtemps, placé sa foi en l’être humain. Et la demande fut faite en chœur de permettre au phénix de renaître de ses cendres.
Le Sage des Sages prit sentencieusement le rameau d’or, effleura du bout de la branche précieuse les trois autres objets déposés au cœur de la Salle blanche, et, dessinant un immense S dans l’espace, il dit :
« Salamandres, Sphères, Symphonies, Sources, Sagesses anciennes….
Qu’en cette Salle renaisse, s’inscrive et demeure toujours le Sacré.
Que le Phénix Humain déploie ses ailes.
Qu’il irradie désormais dans son monde
Les Sagesses ancestrales qui lui furent transmises
Que l’Humain perdu dans son illusion de mortalité
Fasse ici même et ailleurs l’expérience de son immortalité
Et contribue ainsi pleinement à l’évolution de notre univers. »