Ce soir-là, il s’était endormi encore plus tard qu’à l’accoutumée, secoué par des pensées qui l’assaillaient de manière récurrente et l’agaçaient comme des mouches. Il aurait pu les résumer toutes en une seule : « Mais qu’ai-je fait de ma vie ? ».
Habituellement, au matin, sa raison sortait victorieuse du conflit qui semblait sourdre en lui. Sa vie ? Beaucoup la lui enviait ! Concertiste, il « gagnait sa vie » en vivant sa passion : jouer du violon. Il avait remporté les concours appropriés, reçu les prix qui propulsent sur les scènes internationales et, une fois soliste, avait goûté aux ivresses des feux de la rampe et des ovations.
Ce soir-là, pourtant, Dame Raison ne put calmer aucun de ses doutes existentiels car, en concert non plus, il n’avait plus le feu. Où étaient passés la fraîcheur et l’enthousiasme des débuts ? Mais surtout, où était passé ce Sel si particulier qui donne goût à la vie, à tout ce que l’on fait et qui rend le quotidien lumineux ?
Aujourd’hui, il avait l’impression de vivre dans un décor fait de trivialité, de protocoles et de codes de conduite ennuyeux. Il s’endormit comme il le faisait de plus en plus souvent : en souhaitant fugacement ne pas se réveiller.
« Oui ! », cria-t-il… Il s’aperçut alors que son rêve – ou son cri ? – l’avait fait se redresser dans son lit. Et il se sentit vivant comme il ne l’avait plus expérimenté depuis longtemps.
Dans son rêve, il s’était vu apportant solennellement un violon à un monsieur très âgé, au visage sévère qui contrastait avec la tendresse et la profondeur de son regard. Il se souvenait particulièrement de ses yeux au fond desquels il avait cru deviner un savoir particulier. Les images du rêve s’estompaient déjà mais il retint encore une scène, émouvante, dans laquelle le visage tout entier de l’homme se transformait à la vue du violon, pourtant vieux et abîmé. L’image de ce visage soudain illuminé, sur lequel toute trace du temps avait disparu, était très claire, très précise. Il savait déjà qu’elle resterait longtemps présente en lui. Mais qui était cet homme ? Comment pouvait-on rêver d’un inconnu ? Que signifiait le fait de lui apporter un violon ?
Aucune de ses activités intenses de la journée ne lui permit d’oublier ces images. Elles se glissaient, persistantes, entre ses pensées, en dépit de son rythme accéléré.
La nuit suivante, il rêva à nouveau du vieux monsieur. Cette fois, il le voyait jouer sur le vieux violon dégingandé. C’est en prononçant le mot « harmonie » qu’il s’éveilla ce matin-là.
Au réveil, agacé cette fois, il estima qu’il était proche du burn-out comme un certain nombre de ses homologues et jugea la chose par trop rocambolesque pour lui donner de l’importance. Il s’efforça d’oublier et se lança dans sa course quotidienne habituelle.
Alors qu’il allait entrer en trombe dans le théâtre où il était attendu pour la répétition, un jeune homme aux allures de mendiant, à l’accent indéfinissable, interrompit sa course en lui demandant quelques pièces. Il allait le rabrouer lorsque le jeune homme dit qu’il voulait gagner sa vie dignement et que, pour ce faire, il allait jouer du violon pour lui. Sans lui laisser le temps de répliquer, il entama maladroitement une rhapsodie hongroise…
Interloqué, le soliste reconnut le violon de ses rêves : vieux, très abîmé, patiné à l’extrême, désaccordé, le son qui en sortait était aussi inqualifiable. Il s’étonna de remarquer dans ces circonstances une touche de malice dans l’œil du violoniste en herbe qui semblait se divertir de sa décontenance.
Rongeant son frein, il attendit la fin de la maladroite performance pour lui proposer d’acheter ce violon. « Monsieur, donnez-moi quelques pièces pour la musique. Le violon, je ne peux pas vous le vendre, il est à vous car par deux fois j’ai rêvé qu’il en était ainsi. Et je suis bien content de vous avoir enfin trouvé. »
Il lui tendit le drôle d’objet et disparut instantanément sans qu’il ait eu le temps de lui accorder l’aumône réclamée. Il se surprit à se demander qui des deux avait le plus besoin de l’assistance de l’autre…
À la fin de la journée, seul avec ce mystérieux violon, il commença par l’observer. Voulant tirer de lui les premiers sons, il faillit le jeter sans plus de tergiversations. En effet, il était si sale, si abîmé, une étrange odeur émanait de lui et tous les sons étaient discordants ; on aurait dit qu’il était malade. Et lorsqu’il essayait de jouer, ce qu’il entendait ressemblait aux sons dissonants et criards qu’il avait arrachés à son premier instrument lorsqu’il avait dix ans.
La nuit suivante, il rêva encore. Le vieux, cette fois, s’adressait à lui : « Ne comprends-tu pas que tu as tout à apprendre ? »
La répétition de ces rêves en continuité avait quelque chose de fascinant, même s’il reconnaissait qu’ordinairement, il aurait été le premier à dire : « ce n’est qu’un rêve ». Généralement, il ne se souvenait pas ou peu de ses rêves. Mais ceux-là avaient une texture particulière et il avait fait l’expérience lui-même de l’intensité de vie que ces images oniriques recelaient et de l’énergie qu’elles lui apportaient par ailleurs au long de sa journée à leur simple évocation.
Le lendemain, il courut moins vite. Il regardait autour de lui, cherchant un signe attestant l’existence du vieillard de ses songes. Il le cherchait partout mais rien ne se montrait. Ni ce jour-là, ni les jours suivants. Et le rêve ne se répétait plus non plus.
Profitant d’un répit dans le rythme trépident de sa vie professionnelle, il ressentit la nécessité de rendre visite à sa mère, ce qu’il ne faisait pas souvent. Pourtant, cette vieille dame lui avait tant donné. Aujourd’hui, elle ne le reconnaissait plus.
Ayant développé ces derniers temps le goût d’observer autour de lui, il se pencha sur ces photos jaunies que sa mère exposait là sans qu’il ne s’y soit jamais vraiment intéressé. Et alors, il le vit, ce vieux monsieur sévère aux cheveux très blancs et au regard profond. Il s’exclama de manière apparemment paradoxale : « Mais c’est lui ! Maman, qui est-ce ? »
Sa mère, étrangement lucide, comme sortie instantanément de la confusion dans laquelle semblait sombrer sa conscience d’année en année, répondit : « Enfin ! Voilà près de 20 ans que j’attends cette question. Ce grand ami est le Maître de violon. De lui, tu as tout à apprendre mon garçon. Si tu t’en remets à lui, je peux enfin mourir tranquille. J’aurai accompli ma mission. Mais hâte-toi. Lui aussi avance en âge et vas savoir s’il t’aura attendu. »
Elle décolla solennellement un petit papier fixé à l’arrière du cadre et lui tendit une vieille carte de visite défraîchie, sur laquelle on avait ajouté une nouvelle adresse d’une écriture fine et élégante,.
Se retournant pour interroger sa mère davantage, il vit qu’elle avait repris, comme si rien ne s’était passé, son activité favorite qui consistait à jouer avec un vieux sac à main qu’elle prenait pour un chat.
Il décida de se rendre immédiatement à l’adresse indiquée sans même annoncer sa visite. Il était là, à observer la magnificence d’une porte en chêne qui semblait provenir d’un vieux château, lorsque celle-ci s’ouvrit doucement sans qu’il l’ait effleurée.
« Tu en as mis du temps ! Tu as apporté le violon ? »
Il sentit que cette 1e Rencontre était un moment décisif pour sa vie mais sa raison lutta encore et lui souffla que ce très vieux monsieur pas aimable ne pourrait sans doute pas grand-chose pour lui. En fait, il se rendit compte qu’il ne savait même pas ce qu’il venait faire ici, ni qui était cet homme. L’étrangeté était qu’il s’agissait bien du visage qui s’était présenté dans ses rêves. Comment peut-on rêver de quelqu’un que l’on ne connaît pas et le rencontrer par la suite ?
« Tu as failli te perdre dans cette drôle de vie et oublier qui tu es », lui dit le vieillard, en lui tournant le dos, ce qui était sans doute une invitation à le suivre. Il avait noté que le ton de sa voix avait changé en un instant ; elle distillait une infinie bonté accompagnée d’une étrange émotion et il se sentit soudain très troublé, en profondeur, comme s’il se trouvait face à quelqu’un qui le connaissait totalement et depuis toujours.
Le vieux s’assit. Il allait en faire autant lorsque le visage de l’homme, déjà si familier, s’approcha tout près du sien et d’un ton sec, lui intima : « Toi, joue ! Moi j’écoute. »
« Quoi, dit-il, jouer avec ce truc ? Vous n’y pensez pas !
Maugréant, il obtempéra pourtant, se demandant s’il s’agissait encore d’un rêve. Aux premiers sons discordants, l’autre se mit à hurler.
« Ah mais c’est quoi, ça ? Tu n’entends donc pas que ce violon est malade et qu’il faut le soigner ? Il a besoin d’un feu très doux pour le réchauffer. Essaie encore ! »
C’était donc cela : le vieux avait sans doute la même maladie invalidante que sa mère. Du feu pour réchauffer un violon ! Estimant avoir déjà perdu trop de temps, il manifesta son intention de partir. La vague de tristesse qui envahit soudain le regard du vieil homme était absolument à l’opposé de l’image de son rêve. Il en ressentit comme une douleur au ventre.
L’homme aux cheveux blanc se leva, prit doucement dans ses mains le violon et ignora complètement la présence du soliste. Il déposa l’objet sur un petit établi comme il l’aurait fait d’un animal blessé. Il remplit son intérieur de riz, sous les yeux éberlués de l’unique observateur. Puis il secoua tout doucement latéralement le violon, comme s’il le baignait de l’intérieur. Doucement, il le retourna pour vider le contenu : le riz s’était transformé, noir et rabougri, comme s’il avait été trempé dans une substance noirâtre. Le soliste, une fois de plus désarçonné, fit le choix de rester et de se taire. Il voyait le vieux totalement absorbé dans chacun de ses gestes. Ayant déposé de nouveau un riz tout blanc à l’intérieur, il secoua une seconde fois plus fortement le violon. Un son étrange de douces percussions était produit par ce déconcertant rituel. Il entama un 3e bain. « Trois fois ? Pourquoi trois ? », s’interrogea l’observateur. Il nota que les rêves aussi avaient été au nombre de trois. Mais pourquoi trois ? Au 3e passage, le son était plus clair, le visage du vieux également. Même la pièce semblait être devenue plus lumineuse. Cette fois, le riz extrait du violon était à peine grisé. Il passa ensuite un long moment à palper l’instrument de toutes parts, on eut dit un massage précautionneux. Il appliqua ensuite plusieurs produits non identifiables tantôt du bout des doigts, tantôt de toute la largeur de sa grande main fine.
Puis le vieil homme retourna dans son fauteuil. Il n’avait pas encore remarqué qu’il était si voûté, presque recroquevillé ; c’était en tel contraste avec la force qui émanait de lui à chaque instant. C’est avec une grande douceur que le vieux dit :
« Maintenant, il se repose. Laissons-le tranquille un moment. Reposons-nous aussi. »
Il ferma les yeux et, le soliste l’aurait juré, s’endormit instantanément.
L’agitation le reprit de plus belle. « Mais qu’est-ce que je fais ici entre un vieux fou et un violon qui se repose ? »
« Le vieux fou et le violon ont bien des choses à t’apprendre jeune homme. Tu manques cruellement de patience et de sagesse. Repose-toi aussi. Ferme les yeux et écoute. »
Las de sa constante lutte intérieure, il se laissa faire, cessant toute opposition, toute lutte, tout vouloir…
S’était-il assoupi ? Était-ce encore un rêve ? Une berceuse angélique le fit émerger de son demi-sommeil. Le vieil homme, lui tournant le dos, jouait de ce vieux violon. Dans la pénombre, il distinguait le mouvement lent et subtil de tout son corps qui accompagnait le son et une étrange sensation d’être bercé l’envahit. Il reconnut que ces notes frêles et douces provenant de l’instrument malade lui apportaient un grand bien-être, pareil à celui de l’enfance. Le vieux était comme absent à ce monde, totalement dédié à cet autre que lui qui pourtant, en cet instant même, était aussi lui. Aucun son ne sortait de ses lèvres ; pourtant on aurait juré que c’était lui qui chantait une berceuse au violon. Le jeune homme laissa aller le mouvement de son âme et soudain, il entendit pour la première fois qu’il vivait, par intersubjectivité, une communion de l’homme avec son instrument. Doucement, il pleura.
La Musique cessa. Le vieux revint au monde. Son visage alors tout attendri se resserra lentement puis il dit fermement :
« Va-t’en maintenant. Apprends. Prends soin de lui. Rétablis-le complètement. Et discipline-toi davantage. Tu t’es limité à atteindre une technique tout juste suffisante mais tu n’as la maîtrise ni de toi-même ni de ton instrument. Les deux sont nécessaires pour que la Musique s’exprime librement. »
Plusieurs mois passèrent. Le soliste avait annulé ses concerts et se dédiait au nouvel instrument qu’était ce violon ineffable. Avec lui, il oscillait entre l’obsession dévorante, comme s’il vivait une relation passionnelle, tremblant d’exaltation parfois quand il le prenait en main et le posait sur son épaule, se demandant quels sons, ce jour, il saurait en extraire et s’il pourrait revivre cette union et ce sentiment de plénitude ressentis chez le vieux. D’autres fois, sa raison prenait le dessus et le faisait douter de sa quête actuelle. N’était-il pas en train de perdre son temps, de mettre en danger sa carrière ?
Il devait reconnaître pourtant qu’il apprenait beaucoup de cet instrument : il l’obligeait à jouer plus lentement et dans cette apparente lenteur, de nouvelles résonances, de nouvelles tonalités, de nouveaux espaces s’étaient ouverts à lui. Quant à sa technique « tout juste suffisante », il découvrait chaque jour qu’à la remettre en question, il avait constaté bien des faiblesses et bien des failles.
Il retourna à l’improviste chez le vieil homme. Il savait déjà que cette 2e Rencontre ne pourrait être comme la première, mais se souvenant du ton sec du monsieur, il pensa que l’effervescence dans laquelle le mettait la perspective de lui montrer ce à quoi il était parvenu n’était peut-être pas très indiquée. La porte s’ouvrit encore sans qu’il l’eût touchée mais c’est sur un ton aimable et chaleureusement qu’il fut accueilli.
« Je t’attendais. Comment va-t-il ?
Il ne ronchonna nullement cette fois, souhaitant tout au contraire montrer qu’il avait appris à aimer et peut-être même à comprendre ce drôle de violon. Il redoubla de virtuosité, multipliant les effets et les risques techniques, s’amusant à sauter par-dessus les difficultés comme un enfant jouerait à saute-mouton.
« C’est vrai, il est content. Et toi aussi. Vous êtes tous les deux plus vivants maintenant. On va pouvoir peut-être commencer à faire de la Musique.
Le Maître prit son propre violon, le posa sur son épaule comme s’il accomplissait un rituel sacré, ferma les yeux et inspira longuement. Dès la première note, le Maestro n’avait plus d’âge ; il était entré en communion mais pas seulement avec le violon. Son corps et son visage accompagnaient, vivaient chaque son, il était devenu Danse pure. Dès la première note, tout s’était suspendu alentour. C’était comme si le temps s’était arrêté. Le soliste eut l’impression que toute l’âme de ce vieux monsieur était investie dans cet instant. Il sentit, ou plutôt il vécut, cette chose étrange : cela n’était pas seulement beau, cela ne pouvait être joué autrement, c’était. Pour la première fois, il sut, sans pourtant pouvoir la définir, ce qu’était la Musique.
Le violon s’était tu depuis longtemps déjà ; ils avaient tous deux encore longtemps écouté comme une Présence dans le silence qui suivit. Il osa enfin demander :
« Maestro, comment avez-vous fait cela ?
Des mois plus nombreux encore s’écoulèrent. Le soliste avait beau s’entraîner avec ardeur, jouer tous les jours, parler à son violon, il ne parvenait pas à revivre la lumière qui l’avait baigné lui aussi lorsqu’il avait partagé ce moment de véritable Musique avec celui qu’il savait désormais être un Maestro.
Alors, il reprit les concerts et se mit lentement à douter de ces derniers mois qui avaient fini par former des années.
***
On l’avait appelé pour lui annoncer que sa maman était en fin de vie. Il lui rendait visite plus souvent désormais mais elle ne l’avait plus reconnu depuis le moment où elle lui avait donné l’adresse du Maître. Ce jour-là pourtant, comme émergeant d’un ailleurs si lointain, elle lui dit subitement :
« Alors mon garçon, as-tu pu finalement vivre la Musique ? »
Bouleversé tout à la fois de la présence lucide de sa mère et de la pertinence de sa question, dans un élan vital mû de l’impératif besoin de témoigner, il lui raconta toute son expérience et son échec final. Elle ne cilla pas durant tout le récit puis, d’une voix si douce, lui murmura :
« Oh mon Grand ! Tu es passé à côté de l’essentiel. Je vais te dire ce que le Maestro ne t’a pas dit : arrête de vouloir ! Laisse les choses être à travers toi. Elles ne t’appartiennent pas. Demande simplement à ce que la Musique s’exprime à travers toi. »
Et elle changea de visage, retournant à un monde inconnu, déconnectée de celui qui l’entourait. Il lui murmura cependant, sans savoir si elle l’entendrait : « Maman, tellement merci ! ».
Alors, d’une voix pure bien qu’un peu chevrotante, elle entama un chant d’une infinie beauté. Tout s’arrêta autour d’elle. Lui retint son souffle et ses larmes. Elle chantait divinement et il n’en avait jamais rien su. Elle connaissait cette fréquence dans laquelle tout se place en harmonie, dedans et dehors. Il était en train de vivre une communion intense avec les personnes tout autour qui s’étaient arrêtées net dans leur activité et dans leurs mouvements et, en même temps, une réconciliation profonde avec lui-même et avec sa mère. Elle semblait une et mille à la fois. Ses yeux brillèrent d’une lumière si pure, si rayonnante que longtemps après que sa voix eut cessé d’irradier cette musique des sphères, il ne fut pas étonné qu’elle ne revint pas.
Alors il se précipita chez le Maître de violon, sentant son cœur exploser de reconnaissance. Pour cette 3e Rencontre, il voulait matérialiser cette gratitude. Il voulait lui témoigner avoir entendu le fil d’éternité.
La porte ne s’ouvrit pas d’elle-même. Comme elle n’était pas fermée à clé, il la poussa et entra. Le Maestro était là, très enfoncé dans son fauteuil habituel…
« Je ne t’attendais plus, petit…
Tremblant, il prit délicatement le violon du Maestro. Le plaçant sur son épaule comme on embrasse un enfant, il ferma les yeux et lança une demande vers l’univers…. Et soudain, il sentit qu’il devait laisser faire et il cessa instantanément de vouloir…
Alors il joua. À la première mesure, le visage du Maître s’illumina. Il savait, car il le vivait simultanément : ce musicien était en présence du passé, du présent et du futur, il vivait la fin dans le commencement, il ne jouerait plus jamais comme avant. Ils étaient entrés dans cette autre dimension, ensemble désormais, dans la Connaissance de la Vérité.
Longtemps après que le violon se soit tu, le soliste, les yeux emplis des larmes d’une gratitude infinie, ferma les yeux du Maestro restés grands ouverts sur la lumière.