Il était une fois un frêne, descendant d’Yggdrasil.
Il était né au temps des gens étranges, intolérants, qui avaient effacé la mémoire d’autres peuples. Ces hommes ne savaient rien du savoir que les arbres avaient reçu… Pourtant, dans leurs rêves et dans leurs contes habitaient les lutins, les trolls, les géants et les anneaux enchantés. Pourtant autrefois, dans les forêts, quand ils tournaient la tête très rapidement, ils pouvaient voir un elfe et entendre le chant de l’ondine dans les ruisseaux murmurants
Comment avaient-ils oublié, ces hommes, que le frêne sacré descendait d’Ask (le frêne) et d’Embla (l’orme) deux beaux troncs tombés, qui, par la volonté des dieux, revinrent à la vie pour enseigner aux humains ?
Les hommes avaient depuis longtemps perdu la mémoire des arbres sacrés. Ils ignoraient qui ils étaient, ils méconnaissaient leurs pouvoirs et leur fonction, ils ne savaient plus les reconnaître.
Celui-là était descendant d’Yggdrasil, le grand frêne sacré, qui avait abrité une civilisation ancestrale et sage. Il s’était enfoui dans un sommeil millénaire lorsque le bûcheron l’avait coupé de ses racines, emporté loin de sa forêt. L’ondine des ruisseaux lui avait alors murmuré : « Dors, géant, dors. Des elfes de ta contrée ancestrale reviendront bientôt peupler le cœur des hommes. Ils leur souffleront leurs origines, ils se souviendront d’Ask et d’Embla. Ils sauront qu’ils sont eux-mêmes les descendants et héritiers des Ases et des Asiniennes, formateurs des humains. Ils viendront alors te réveiller. »
Ils vinrent un jour… cherchant le grand frêne.
Lui> semblait issu de la branche des géants, respectueux des forêts, reconnaissant tous les frères arbres, les identifiant des yeux et des doigts.
Elle> semblait issue de la branche des lutins elfiques qui se mouvaient par intuition, elle identifiait par les odeurs et les parfums, cherchant et repérant la sacralité.
Ils étaient deux mais ils étaient mille en leur cœur. Ils portaient consciemment en eux les Demandes de centaines d’autres comme eux qui souhaitaient sacraliser un lieu. Un lieu particulier, lui-même relié à d’autres lieux identiques, et à d’autres temps aussi. Car ils étaient porteurs des germes de la nouvelle race humaine, celle qui cherche ses plus anciennes racines pour mieux comprendre où elle va, celle qui apprend à reconnaître le Sacré en elle et au dehors d’elle.
Le frêne pouvait lire en leur âme et en leur cœur. Il lisait qu’ils voulaient un arbre sacré pour faire de lui un escalier, qu’ils voulaient redonner vie à l’arbre et renouveler la fonction du frêne : abriter, protéger, inspirer. Et pour cette œuvre, pour l’escalier-connective entre les plans, ils cherchaient l’axis mundi, un véritable descendant du frêne Yggdrasil. Ils voulaient qu’il soit le chemin d’ascension vers une salle de méditation depuis laquelle ces êtres en construction tentaient de découvrir la Vérité.
C’est alors avec un fol espoir que le frêne sortit lentement de son profond sommeil et qu’il s’en remit à eux : >il pouvait enfin cesser d’attendre, d’espérer et de vouloir.
Il était grand et fort. Le transformer allait exiger du travail, beaucoup d’effort et un rythme soutenu car leur temps était compté. Ils voulaient mettre du cœur à l’ouvrage et ils prétendaient même accompagner sa mutation de tout le soin possible, jusque dans les moindres détails, en respectant ses nervures et ses couleurs.
Ainsi, ils commencèrent par ôter son écorce, son « pyjama » disait le lutin qui sentait bien qu’il émergeait d’un si long sommeil. Le géant lui savait bien que l’écorce était ce qui le maintenait relié avec les siens de la forêt. Ils décidèrent d’en laisser un morceau dans leur construction, ce que nul humain ne fait, pour que sa forêt restât présente en lui, pour que la forêt résonnât dans leur escalier sacré… Avaient-ils ressenti que le Tout était dans l’Un et l’Un dans le Tout ?
Le lutin lui parlait, le saluait, le rassurait ; le géant en riait mais se mettait au diapason, le saluant à haute voix lui aussi en s’apprêtant à le travailler. Dans l’assemblement des différentes parties, ils voulurent le magnifier… Ils souhaitaient qu’on puisse admirer dans un même objet la variété de ses couleurs, qu’on s’émerveille des nervures fines et presque linéaires à la blancheur tendre et des arabesques dansantes au rouge éclatant.
Et soudain le frêne comprit que ces deux-là pénétraient la matière et qu’ils s’en laissaient pénétrer.
Alors il les guida et leur indiqua comment donner sens en alternant les blancs et les rouges en équivalence à leur Art :
Une première marche sera blanche, aussi blanche qu’est noire une nuit infinie ;
La deuxième marche sera rouge pour refléter des rubis,
La troisième marche sera blanche comme après purification,
La quatrième marche sera rouge du Sel des alchimistes.
La cinquième marche sera blanche, comme le halo de la pleine lune,
La sixième marche sera rouge du feu des acides brûlant toute impureté,
La septième marche sera rouge et blanche, avec la subtilité du très lointain murmure,
La huitième marche sera rouge en son cœur, comme les braises d’un feu mourant.
La neuvième marche rayonnera du rouge de la vie renaissante et devra faire résonner un véritable hymne à la joie.
La dixième marche sera Reine blanche, prête à recevoir son Roi, la divinité attendue dans le Silence.
La onzième marche sera rouge et lumière…
La douzième marche sera rouge dense et conduira aux autres plans.
Le géant et le lutin, en joie, reconnurent l’offrande reçue et furent emplis de gratitude. Ils lui offrirent des cadeaux en retour.
Lui> fit le limon d’une seule pièce pour qu’avec lui soit préservé le souvenir de sa grandeur et de sa puissance.
Elle> lui fit une promesse d’union avec sa parèdre. Elle lui signifia qu’une pièce d’Orme viendrait plus tard se lover en son giron. En attendant, ils l’unirent au chêne. Le frêne est clair, le chêne est sombre ; le frêne est tendre, le chêne est dur. Le descendant d’Yggdrasik accepta donc de faire du chêne centenaire son Complément. Avec lui, unis, ils seront pour longtemps l’entrée de ce nouveau plan, l’horizon de l’aube de la nouvelle ère.
Ils le préparèrent ensuite au voyage. Tout en le couvrant d’une huile généreuse pour le nourrir et le protéger, il sifflotait, elle entrait en oraison, de celle que l’on murmure lorsqu’on attend une naissance ; des nuits entières, ils parachevèrent son beau manteau de lumière.
Alors, Yggdrasil rayonna de ses reflets changeants et dansants.
Puis on le conduisit dans sa nouvelle demeure. Il dut une fois encore quitter sa contrée pour arriver en terres inconnues. Mais il y était attendu. On l’accueillit, on installa et ordonna toutes ses parties à assembler, on l’aimait déjà.
Durant des semaines, les maîtres d’œuvre avaient perdu la notion du temps. Pourtant, il était l’heure maintenant de le dresser : le 16 septembre était le jour d’une petite visite du Maître de ces lieux qui, depuis son éternité qu’il avait rejointe 3 ans plus tôt, fit savoir sa joie qu’un descendant d’Yggrassil puisse inspirer les siens.
Le déploiement fut amorcé. Peu à peu, ses pièces s’assemblèrent.
Désormais puissance, douceur et élégance émanaient de lui et il arborait fièrement son manteau de volutes et de couleurs. Ses rampes parachevèrent l’ouvrage pour soulever d’un léger mouvement les mains des visiteurs, guidant leur montée vers les espaces sacrés.
Alors, le frêne Yggdrasil, transformé, né à nouveau, se mit à parler :
>Je suis prêt à vous porter, à vous envoler,
>vous quêteurs de sens,
>brillantes flèches qui volent vers les cieux…
>Je suis Yggdrasil dressé,
>Accomplissant de nouveau ma fonction de fixer le Destin des hommes,
>Riche du nouveau Dessein d’inspirer par la beauté.
>Je suis devenu Yggdrasil-escalier,
>Axis-mundi sacré.