Il était une fois une très vieille dame qui, lorsqu’elle parlait avec la lune, se croyait encore une petite fille. Comme il n’y avait pas de limites à ses croyances ni à ses rêves, elle s’adressait à elle avec un cœur pur et une âme transparente.
Au cours de sa longue existence, la vieille dame avait posé bien des questions et adressé bien des suppliques à cette amie. Mais au fil du temps, qui ne comptait pourtant pas vraiment ni pour l’une ni pour l’autre, elle avait compris que la lune ne s’occupait pas des choses terrestres.
Elle avait continué cependant à venir auprès d’elle, à s’adresser à elle, comme à une compagne toujours bienveillante. Elle ne s’était jamais lassée de contempler sa beauté et la variété de ses robes argentées. Elle avait même appris à aimer l’attendre lors de ses disparitions régulières car alors, se disait-elle, elle allait sûrement visiter sa grand-mère qui avait disparu elle aussi mais n’était jamais revenue. Peut-être s’en était-elle allée là où la lune s’en va lorsqu’elle se soustrait à de sa vue ? Alors c’est sûr, un jour, à son retour, elle lui donnerait des nouvelles de cette mamie tout empreinte de bonté. Et avec une grande patience, ces nuits-là, sous des voûtes étoilées dont elle appréciait la magnificence, elle attendait le retour de son amie la lune.
Quand elle se présentait à nouveau, elle était si fine. Parfois, elle y voyait comme un arc tendu vers une destination secrète, vers l’infini peut-être. Elle espérait alors le secret qui se cachait derrière ces disparitions répétées. Plusieurs fois, elle osa demander : « Où est ma grand-mère ? Est-elle là où tu vas quand toi aussi tu es invisible ? Où est-elle ? » Et la lune inlassablement répondait : « Où ? Mais « où », c’est un concept humain. ». Elle ne comprenait pas bien cette réponse, elle ne trouvait pas comment l’interroger autrement. Comment aurait-elle pu poser des questions qui ne soient pas humaines ?
Alors, elle avait appris à se contenter d’être simplement là, ou plutôt en sa présence, exactement de la même façon qu’elle ressentait la vie quand elle était auprès de sa grand-mère.
Elle jouait aussi beaucoup avec son imagination, tout comme elle le faisait à l’époque chaque fois plus lointaine de son enfance. Ainsi, elle volait jusqu’à son amie et s’asseyait dans cette immense balancelle du ciel. La lune en retour, se remplissait de lumière au fur et à mesure qu’elle grossissait et lui donnait à voir la nuit des spectacles d’ombres et de lumières que nul peintre n’aurait su reproduire. La petite fille, même une fois devenue grande, pensait qu’il s’agissait de cadeaux qui lui étaient destinés.
Une nuit, la lune se dit que cette vieille dame au cœur d’enfant avait bien mérité d’être initiée à quelque secret. Elle était parfaitement ronde cette nuit-là. Elle laissa émaner d’elle cette clarté que la femme-enfant prenait pour un présent et l’inonda d’une lumière particulièrement douce et enchanteresse.
« Viens princesse », lui dit-elle. Celle-ci, subjuguée, se laissa pénétrer de la sphère lunaire lumineuse et sentit son corps s’alléger. Comme sous l’impulsion d’un grand élastique, elles partirent, ainsi mêlées l’une à l’autre, droit devant elles, aux confins du ciel qui s’obscurcissait encore à mesure que la terre s’éloignait. Elles traversèrent à vive allure des espaces immenses ; les étoiles frétillaient, comme si elles savaient où se rendait cet étrange vaisseau, et changeaient de couleur sur leur passage jusqu’à s’évanouir dans l’obscurité totale.
Un anneau d’or se détacha au loin, il était prolongé d’une sorte de grand tunnel que la sphère-lune pénétra en ralentissant sa course. Elle se retrouva instantanément devant une construction de cristal, qui reflétait en scintillements des couleurs qu’elle n’avait jamais vues auparavant. Traversant ce mur lumineux aux sonorités divines, elle parvint dans un espace dont elle ne percevait ni les limites ni les contours. Elle vit alors un grand objet mobile, impossible à cerner du regard, car quelle que soit la direction suivie à sa surface, celle-ci finissait par s’enrouler à l’intérieur du corps. Prise de vertige et troublée, elle détourna le regard.
Une silhouette s’approcha en glissant, son déplacement furtif produisait comme une musique en elle, comme un chant de retrouvailles. Émue, elle s’agenouilla en tremblant. La silhouette lui présenta très lentement une petite sphère lumineuse et transparente. Mais elle ne vit que la main qui se tendait vers elle.
Un flot de souvenirs émergea de sa mémoire avec une grande force et parfaite netteté : c’était la main qui remontait sur elle l’édredon avec amour, c’était la main qui caressait sa joue pour la réveiller doucement, c’était la main qui passait par-dessus son épaule pour déposer devant elle le chocolat chaud encore fumant, c’était la main qui caressait ses cheveux pour calmer ses impatiences. Elle chavira sous l’émotion : « c’est toi ? ». Sans nul besoin de confirmation, elle fondit en larmes en balbutiant des remerciements qui étaient si intenses qu’elle en avait perdu le langage. La silhouette, dont on ne pouvait distinguer le visage, insista pour qu’elle saisisse la sphère et la dépose sur son front. Des ondulations successives baignèrent alors tout son corps et elle sentit que quelque chose de nouveau vivait en elle.
Jaillit de tout son être une joie infinie.
Il était une fois une toute jeune fille qui lorsqu’elle parlait à la lune, croyait être une très vieille dame. Elle ne sut jamais comment elle avait pu percevoir toutes ces sagesses anciennes mais on lui avait enseigné – et gravé en son cœur et en son âme – qu’une main peut écraser ou encourager, frapper ou caresser, prendre ou donner. Elle n’ignorait jamais que son mental était comme une épée à deux tranchants : l’un défend et protège, l’autre détruit et tue. Elle savait, comme une évidence, qu’elle aurait toujours le choix de la direction de ses actes. La lune lui avait tant montré qu’elle croyait, en sa présence, avoir déjà vécu mille vies. Etait-ce parce qu’en regardant la lune, étrangement elle voyait le visage de sa grand-mère ? Celle-ci avait toujours aimé cette sphère lumineuse. Elle aurait même juré l’avoir entendue, une nuit, parler avec elle.
Dans ces dialogues avec le grand disque d’argent, la jeune fille à la vieille âme avait reçu le secret du Sel de la vie, elle avait compris ce qui survivait de toutes choses et en toutes choses, car une nuit elle avait clairement entendu : « les grand-mères et les grand-mères de tes grand-mères se perpétuent en toi. Si tu sais transmettre ce qu’elles t’auront donné, tu auras saisi un fil d’éternité. »
D’emblée, elle avait su : la bonté. Elle avait reçu la bonté en lointain héritage. Elle avait ressenti, dès sa plus tendre enfance, l’acte qui construit, qui collabore avec la vie et qui nourrit l’Esprit. Et elle avait très tôt compris qu’il s’agissait là de la clé : c’est la bonté de ses êtres chers qui survivait en elle, c’est la bonté qui survivrait d’elle si elle la propageait autour d’elle, c’est la bonté qui lui ouvrirait les secrets et les portes de l’éternité.